Humeur. Patisseries et Identité(s)

Publié le par Secteur PSY

(Par George)

 

 

Aujourd’hui j’ai vu ma tante. L’évènement en lui-même n’a rien de bouleversant. Même si ça faisait 4ans que je ne l’avais plus revue. A part quelques kilos de graisse en plus, et sa couleur de cheveux, elle n’avait changé en rien. Et même que pour la couleur de cheveux, on avait l’habitude. Elle changeait tellement de teinture qu’on avait oublié sa couleur naturelle. Je ne sais pas si elle s’en rappelle elle-même.
Toujours est-il qu’elle n’avait pas changé. Les gens qui changent, je n’en ai jamais rencontré aucun. Les gens ne changent pas. Ce qui change c’est la quantité d’informations qu’on connaît sur eux, ou au mieux si on les perd de vue, c’est les choses qu’ils ont vécues sans nous. Changer est réservé à la race supérieure dont je fais partie.

Elle m’avait proposé d’aller au restau puis d’aller s’empiffrer de pâtisseries dans un café qu’elle connaissait. J’avais accepté le programme, parce que s’empiffrer de pâtisseries, ce n’est pas ce que je fais tous les jours, et aller au restau était la règle numéro 1 dans le code de la survie. Et puis je ne payais pas un rond. Et à lui seul, cet argument pouvait me convaincre de faire bien des choses, non sans une certaine joie.

Sauf que cette fois, la joie tourna court quand ma tante freina sec devant la Zaouia d’un saint, comme y’en a partout au Maroc. Vu que ça faisait dix ans qu’elle était partie en France, et qu’elle n’était pas revenue tous les 6mois, je considérais cette escale inopinée, du moins pour moi, comme une curiosité de touriste, ou une visite culturelle. Puisque les musées, en nombre, ne font pas le poids devant les saints, et qu’ils sont souvent, bien planqués. Chacun sa manière de « protéger » et « sauvegarder » son patrimoine.

Mais à ma grande surprise, ma tante ne sorti pas son appareil photo jetable. Elle commença a tournoyer autour du tombeau du saint, a marmonner des prières, tantôt les mains jointes, tantôt posées a plat sur les arabesques abîmées et le tissu vert défraîchi qui habillait le cercueil. Ça sentait le renfermé. Le moisi même.

Je m’adossai contre le mur, avec mon mini-short et mes santiags. Accoutrement obscène pour ce lieu de culte, et levai la tête au ciel. Les prières gravées sur les murs comportaient des fautes d’orthographe quand elles étaient lisibles.

Les larmes giclaient des yeux de ma tante et cascadaient sur ses joues qui tombent. Elle caressait le tissu, de plus en plus frénétiquement. Elle était presque en transe.

Un homme, vieux à en croire ses rides et ses cheveux blancs, entra sous la coupole. L’air grave, il me toisa d’un œil d’abord sévère, puis désolé. Il marqua une pause sur mon short que je sentis rétrécir et soupira. Sur quoi, il commença sa valse mortuaire autour des restes du saint, couverts de briques et de chaux.
Ce vieux avait passé l’âge d’être outré par l’insolence de la jeunesse. Il ne pouvait plus qu’être désolé et se résigner à la cohabitation pacifiste avec les petits diables, qu’il pouvait maudire a loisir en huis clos avec des gens qui partageaient les mêmes convictions que lui.
Mais il était profondément désolé. Vraiment. L’américanisation gagnait du terrain. Elle a même réussi à pénétrer l’enceinte du havre de paix et haut lieu de recueillement qu’était jadis sidi Balyoute, et même s’adosser au tronc du palmier sacré en bottes de cow-boy. Le pépé ne savait plus a quel saint se vouer. Parce que le pauvre sidi Balyoute était dépassé. Entre les bonnes femmes de 45ans qui venaient prier pour enfanter, les petites vipères qui souhaitaient la mort d’une voisine ou la nouvelle femme du mari… Il ne pouvait plus rien pour ces gens là. Ni pour les autres d’ailleurs.
Mais le petit vieux venait prier quand même. Il n’avait pas de chien à promener, et le journal, il ne savait pas le lire.
Ma tante, elle, savait lire par contre. Et elle avait déjà deux grands garçons. Même qu’elle était grand-mère. Elle était là quand même. Encore plus pieuse que le vieux.
Devant l’incompréhension totale et l’absurde de la situation, j’hésitai entre éclater de rire et péter. Rire était malvenu. Je préférai taper fort sans relever de poussière. Un petit, bien corsé, et je suis sortie fumer en me plaignant de l’odeur :

- ça sent le cadavre par là ! dis-je en sortant dans le patio.
Ça sentait plutôt le vivant. Et qu’est ce que ça puait !
Ma tante me rejoignit, quand je commençais à m’impatienter.

- Tata …?!
- Oui ?
- Pourquoi tu viens prier ce mort ? tu peux faire plus de choses pour lui qu’il ne peut en faire pour toi, aussi saint soit-il…

Ma question était simple, claire et vraie. Et ce n’était pas un reproche.
Et à ma grande surprise… En fait non, je ne pouvais être vraiment surprise qu’une seule fois par jour. Et ça, je m’y attendais.
Elle s’arrêta net et me vomis a la gueule un long discours pompeux et pompé dans tous les canards nationalistes conservateurs a petit tirage, distribués dans boucheries halal de Paris. Un discours fiévreux sur nos racines, notre marocanité, notre religion (monothéiste, qui condamne l’idolâtrie d’ailleurs. Et elle le savait parfaitement), nos repères…
Elle m’expliqua également comment elle a eu facilement sa nationalité française grâce aux offrandes qu’elle avait présentées à sidi Balyoute, et termina en beauté en me conseillant de faire pareil et en me rappelant que je n’étais pas une Gaouri et que (le clou du spectacle) je devais suivre son exemple pour pas que je finisse droguée ou sur le trottoir. Le rapport reste à établir.
Si elle m’évitait ce genre de prose, je serai bien tentée d’avoir la vie qu’elle a eue. L’épisode du saint mis à part, ce n’était franchement pas une vierge marie et elle était loin d’être dénuée de charmes quand elle fut jeune, à une époque.
Peu importe. Elle avait répondu à ma question. Et sa réponse, quoique compliquée, ambiguë aux mille détours, et pleine de reproches, était VRAIE et sincère.

- Tata… ?!
- Oui ?
- On va manger des pâtisseries ?
- J’achète du henné et on y va.

La crise identitaire restera longtemps une des préoccupations majeures des politiques mondiales, penseurs, littérateurs et autres sociologues. Et plus modestement un des sujets de réflexion favoris de George, le pédé insoumis.
Et paumé.

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