Méfiez-vous de Clever Hans !

Publié le par Secteur PSY

(Par Callaghan)

 

 

... ou Hans le malin, en version française.

Berlin, 1904. Un cheval, nommé Hans, défraie la chronique. Son éleveur, un certain M. von Hosten, affirmait qu'il était capable d'effectuer des calculs algébriques simples, ainsi que d'identifier des lettres de l'alphabet ou des notes de musique préalablement traduites en chiffres. Comment procédait-il ? L'éleveur lui posait une question, par exemple "racine de seize plus deux", et le cheval tapait du sabot autant de fois que nécessaire (ici, cela n'aura pas échappé à votre sagacité, le résultat est six). Evidemment, le bruit se répand comme de la poudre, et on convoque des instances scientifiques qui viennent analyser le comportement de l'animal. Sapristi ! Un cheval qui compte ! Imaginez comme cela remet en cause les savoirs acquis jusque là. La controverse éclate alors entre deux camps : d'une part, les convaincus d'une supercherie identique à celle mise en place au cirque ; de l'autre, des partisans du darwinisme qui s'appuient sur L'Origine des espèces, publié quarante-cinq ans plus tôt pour croire que l'intelligence humaine pourrait très bien être en quelque sorte "préformé" dans le cheval.

Les premières constatations du collège de scientifiques et psychologues infirment la thèse du faussaire : le cheval répond correctement à des sollicitations y compris en l'absence du maître. En revanche, un élément troublant apparaît : lorsque la personne qui pose la question ne connaît pas la réponse, Hans est perdu. Ainsi, une première personne donne un chiffre au cheval puis sort de la pièce. Une seconde rentre, donne un autre chiffre et demande à Hans d'additionner les deux (lui-même ne connaissant pas le premier). La pauvre bête est alors bien en peine de faire le calcul. Autre noeud au problème : Hans ne répond que lorsqu'on lui pose une question attendant un calcul. A un simple "Bonjour, Hans, comment vas-tu ?", le cheval ne réagit pas en tapant du sabot. Mais quelle est donc l'explication de tout ceci ?

Les plus futés d'entre vous voient venir la solution de cette énigme. En fait, le cheval percevait la tension croissante de la personne qui attendait la réponse, et tapait tant que cette tension montait. Alors qu'il arrivait à l'avant-dernier coup, en général, la tension chutait soudainement, dans un "ouf" silencieux de soulagement : il y est presque ! Hans le malin comprenait alors qu'il ne lui restait qu'un coup à frapper.

Ce genre de fait-divers évoque, aux plus scientifiques d'entre-vous, l'effet Pygmalion ou Rosenthal (du nom du chercheur qui en a apporté une preuve expérimentale). Je la résume rapidement : Rosenthal donne à des groupes d'étudiants deux rats, l'un présumé intelligent et l'autre stupide selon des critères prétendus scientifiques. Il leur donne comme tâche de leur faire apprendre le trajet d'un labyrinthe et de noter scrupuleusement les progrès effectués et le temps d'apprentissage nécessaire. Immanquablement, les imbéciles mirent deux fois plus de temps que les génies à apprendre le bon chemin. Sauf que lesdits rats venaient de l'animalerie la plus proche, et que la preuve scientifique de leur (absence d')intelligence était du vent. D'où Rosenthal tira comme conclusion que le résultat d'une expérience sur un animal était forcément relatif à la subjectivité de l'expérimentateur. Comme pour Hans, le cheval calculateur.



Se posent alors quelques inévitables questions : quelle méthode faut-il adopter pour que des résultats expérimentaux sur animaux puissent être recevables ? Le scientifique ne recherche-t-il pas l'objectivité de la preuve avant tout ? Dès lors, l'expérience de Rosenthal n'est-elle pas une remise en cause définitive de la véracité des expériences faites sur des animaux ?

De même, le lien avec l'apprentissage humain à l'école semble presque trop facile : les cancres sont-ils mauvais uniquement parce que perçus comme tels ? Idem pour les bons élèves ? Finalement, l'orientation scolaire puis professionnelle, l'amour ou le désamour pour tel aspect de l'apprentissage (et donc, d'une certaine manière, de la société) n'est-elle qu'une question de préjugé de professeur ?

Publié dans Philosophie

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